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LOUIS-FERDINAND CELINE

 

 

BAGATELLES POUR UN MASSACRE

 

[32] (p. 331-340)

[331] des Voyages"... Vous souvenez-vous?... Ah! le bien bel illustré!... chatoyant et tout! divertissant au possible... ravissant de lecture... aimable... pittoresque... pimpant... Je vais reprendre ce principe... aux magies de "Michel Strogoff"... Je veux terminer ce gros et furieux ouvrage en grande courtoisie... Le coup de chapeau... le panache... Grande salutation... Je vous prie!... de ma plume immense, esbouriffée, je frôle le tapis... Grande parabole! je vous présente mes devoirs... Grande révérence... Grande féerie... Je vous salue!... Votre serviteur!...


[332]


Il faut d'abord situer les choses, que je vous raconte un petit peu comment c'est superbe Leningrad... C'est pas eux qui l'ont construit les "guépouistes" à Staline... Ils peuvent même pas l'entretenir... C'est au-dessus des forces communistes... Toutes les rues sont effondrées, toutes les façades tombent en miettes... C'est malheureux... Dans son genre, c'est la plus belle ville du monde... dans le genre Vienne... Stockholm... Amsterdam... entendez-moi. Comment justement exprimer toute la beauté de l'endroit... Imaginez un petit peu... les Champs-Elysées... mais alors, quatre fois plus larges, inondés d'eau pâle... la Neva... Elle s'étend encore... toujours là-bas... vers le large livide... le ciel... la mer... encore plus loin... l'estuaire tout au bout.. à l'infini... la mer qui monte vers nous... vers la ville... Elle tient toute la ville dans sa main la mer!... diaphane, fantastique, tendue... à bout de bras... tout le long des rives... toute la ville, un bras de force... des palais... encore d'autres palais... Rectangles durs... à coupoles... marbres... énormes bijoux durs... au bord de l'eau blême... A gauche, un petit canal tout noir... qui se jette là... contre le colosse de l'Amirauté, doré sur toutes les tranches... chargé d'une Renommée, miroitante, tout en or... Quelle trompette! en plein mur... Que voici de majesté!... Quel fantasque géant? Quel théâtre pour cyclopes?... cent décors échelonnés, tous plus grandioses... vers la mer... Mais il se glisse, piaule, pirouette une brise traître... une brise de coulisse, grise, sournoise, si triste le long du quai... une brise d'hiver en plein été... L'eau frise au [333] rebord, se trouble, frissonne contre les pierres... En retrait, défendant le parc, la longue haute grille délicate... l'infinie dentelle forgée... l'enclos des hauts arbres... les marronniers altiers... formidables monstres bouffis de ramures... nuages de rêves repris à terre... s'effeuillant en rouille déjà... Secondes tristes... trop légères au vent... que les bouffées malmènent... fripent... jonchent au courant... Plus loin, d'autres passerelles frêles, "à soupirs", entre les crevasses de l'énorme Palais Catherine... puis implacable au ras de l'eau... d'une seule portée terrible... le garrot de la Neva... son bracelet de fonte énorme. Ce pont tendu sur le bras pâle, entre ses deux charnières maudites: le palais d'Alexandre le fou, rose lépreux catafalque, tout perclus de baroque... et la prison Pierre et Paul, citadelle accroupie, écrasée sur ses murailles, clouée sur son île par l'atroce Basilique, nécropole des Tzars, massacrés tous. Cocarde tout en pierres de prison, figée, transpercée par le terrible poignard d'or, tout aigu, l'église, la flèche d'une paroisse d'assassinés.

Le ciel du grand Nord, encore plus glauque, plus diaphane que l'immense fleuve, pas beaucoup... une teinte de plus, hagarde... Encore d'autres clochers... vingt longues perles d'or... pleurent du ciel... Et puis celui de la Marine, féroce, mastoc, fonce en plein firmament... à la perte de l'Avenue d'Octobre... Kazan la cathédrale jette son ombre sur vingt rues... tout un quartier, toutes ailes déployées sur une nuée de colonnades... A l'opposé cette mosquée... monstre en torture... le "Saint Sang"... torsades... torsions... giroles... cabochons... en pustules... toutes couleurs... mille et mille. Crapaud fantastique crevé sur son canal, immobile, en bas, tout noir, mijote...

Encore vingt avenues... d'autres percées, perspectives, vers toujours plus d'espaces... plus aériennes... La ville emportée s'étend vers les nuages... ne tient plus à la terre... Elle s'élance de partout... Avenues fabuleuses... faites pour enlever vingt charges de front... cent escadrons... Newsky!... Graves personnes!... de prodigieuses foulées... qui ne voyaient qu'immensités... Pierre... Empereur des steppes et de la mer!... Ville à la mesure du ciel!... Ciel de glace infini miroir... Maisons à leur perte... Vieilles, géantes, ridées, perclues, croulantes. d'un géant passé... farci de rats... Et puis cette horde à ramper, discontinue, le long des rues... poissante aux trottoirs... rampe encore... glue le long des vitrines... faces de glaviots... l'énorme, visqueux, marmotteux, grouillement des [334] misérables... au rebord des ordures... Un cauchemar traqué qui s'éparpille comme il peut... De toutes les crevasses il en suinte... l'énorme langue d'Asie lampante au long des égouts... englue tous les ruisseaux, les porches, les coopératives. C'est l'effrayante lavette éperdue de Tatiana Famine... Miss Russie... Géante... grande comme toutes les steppes, grande comme le sixième du monde... et qui l'agonise... C'est pas une erreur... Je voudrais vous faire comprendre, de plus près, ces choses encore... avec des mots moins fantastiques...

Imaginez un petit peu... quelque "Quartier" d'ampleur immense... bien dégueulasse... et tout bondé de réservistes... un formidable contingent... toute une armée de truands en abominable état... encore nippés en civil... en loques... tout accablés, guenilleux... efflanqués... qu'auraient passé dix ans dans le dur... sous les banquettes à bouffer du détritus... avant de parvenir... qu'arriveraient à la fin de leur vie... tout éberlués... d'un autre monde... qu'attendraient qu'on les équipe... en bricolant des petites corvées... de ci... de là... Une immense déroute en suspens... Une catastrophe qui végète.


[335]


Peut-être faut-il à présent, à ce moment du récit, que j'éclaire un peu ma lanterne... que je vous raconte en détail ce qui s'est passé... Nathalie, ma guide-policière, proposait les distractions...

Certain tantôt, elle me dit:

-- Si nous allions jusqu'aux Iles?... (leur Pré-Catelan). Un très joli match de tennis doit avoir lieu...

Elle était fervente de tennis, Nathalie, je voulais lui faire plaisir.

-- C'est entendu...

Nous voilà partis... C'était pas extrêmement près les Iles en question. Une petite heure en auto... à cause des encombrements. Tous les sportifs de Leningrad, toutes les familles de "commissaires" au grand complet, plein les gradins... Et papoti... et papota.. Il s'agissait d'un tournoi entre Cochet et Koudriach, leur champion. Déjà fin août, je vous assure qu'on la grelotte à Leningrad. Le vent de la Baltique est sévère, je vous l'affirme... Comme babillage aux alentours, ces demoiselles des "bonnes familles", elles avaient de ces caquets!... Pas du tout le public de la rue... Je ne dirai pas des élégantes... mais déjà du vrai confort... des jolies chaussures... (au moins 1.500 francs la paire), l'élite en somme... la bourgeoisie... Je me suis fait traduire les conversations... une petite en short à côté... bien trapue... bien campée... bien appétissante... elle racontait ses vacances...

"Ah! quel voyage, ma chère amie, ah! si tu avais vu papa! il était furieux, imagine!... Nous n'irons plus sur la Volga!... Un [336] peuple!... cette année!... Tu n'as pas idée, les bateaux chargés! à faire naufrage! à couler tous!... Rien que des laboureurs!... mon amie!... Ah! quel peuple affreux!..." (textuel). Et de dire et de s'exclamer! ...

La fin du match... Cochet gagnait haut la main... l'assistance tout à fait sportive sur tous les gradins... applaudissements unanimes... chaleureux... réchauffés...

Nous nous replions, avec Nathalie, vers la grille du Parc... à la recherche de notre voiture... la "Packard" 1920, que je louais 300 francs l'heure. Je ne regrette rien, je le répète. Il me reste encore des roubles... en Russie... une petite fortune... Dans les Caisses de l'Etat... il m'en reste bien pour 30.000 francs. 20 paires de chaussures. Au moment où nous montons en voiture, survient un Monsieur bien poli... soulève sa casquette... et de son plus juif sourire, m'adresse une petite demande...

-- Monsieur Céline, cela vous plairait-il de nous ramener à Leningrad?... que nous profitions... Je suis le chef de l'Intourist... avec mon ami... Sommes-nous indiscrets?...

Il était parfaitement correct ce petit chef de l'Intourist:

-- Mais montez-donc... Je vous en prie!...

Il s'installe auprès du chauffeur... Son copain, il me le présente... il bafouille un nom... le copain aussi bien youtre... mais alors youtre d'un autre modèle... pas un "petit filtrat de ghetto"... le modèle "Satrape"... le très imposant Pacha... le mâtiné d'Afghanistan... le costaud pancrace de grande classe... ample et fourni... du creux, du coffre, de l'abatage... la "cinquantaine"... de la brioche... du bourlaguet, du foie gras... une vareuse à la Poincaré... humblement khaki, ultra sévère... toute la "quincaille" au balcon, les motifs d'émail "soleil", les ordres plaqués au nichon... toutes les "bananes" de Lénine. Un peu citron des conjonctives... un peu du Boudah... et puis tout à fait insolite! les moustagaches, deux houpettes bien cosmétiquées... séparées... divergentes... comme on les portait à Londres vers 1912... dans les équipes de cricket... chez les "porteurs en voltige", les "Comuters of Croydon", les "Icare Brothers" à l'Empire... Enfin vraiment un curieux mélange... Je le bigle de quart... encore un peu... comme ça tout en brinquebalant... Les pavés sont abominables... Je me dis: "Sûrement ce badour c'est un ténor de l'Aventure... C'est un homme qui a profité dans le Communisme... il est beau!... Voici un superbe hasard!..." L'auto marchait très doucement, à cause des terribles [337] fondrières... que pour les ressorts c'est une épreuve... Depuis Catherine, certainement, c'est les mêmes "bossus" qui pavent... et je vous assure qu'ils sont cruels... C'est ça le vrai charme de cette ville... elle reste un musée dans son jus... Rien pourra jamais la changer... Faut voir les Russes au travail. Ils rappellent le régiment, au poil... Ce sera toujours les mêmes ornières... un peu plus creuses et puis c'est tout... C'est l'Asie... quoi... c'est l'Asie... Toutes les voitures, elles en crèveront... A peine un immeuble neuf... depuis la "Bolchévique 17"... le strict absolu nécessaire: Le Guépéou... autre chose... ça aurait juré... Pourquoi faire?... L'autre "opulent", ce ténor boudah, voilà qu'il se met à parler entre les cahots... Ah! mais je trouve qu'il est cordial... et puis même qu'il est spirituel et tout... et qu'il est carrément jovial... Enfin voici un Russe qui cause... qu'est drôle... en plus... et qu'a l'air tout déboutonné... à plaisir!.. qu'en rajoute! c'est étonnant!. qu'a pas un barillet dans le cul!... qu'a pas l'air de se gratter du tout!... Il semble penser tout haut... c'est le premier!... Il parle anglais comme père et mère... On se comprend.. C'est bizarre, à mesure que je l'entends, il me semble que sa voix je la reconnais... C'est pas moi qui pose les questions, c'est lui qui adresse... Il me fait:

-- Monsieur, aimez-vous la Russie?...

-- Et vous, dear Sir?... est-ce qu'elle est bonne?...

J'ai pas l'habitude de ruser, je suis d'un naturel assez simple, j'aime pas les mystères... Puisque mes impressions le passionnent je vais lui faire part immédiatement de mes réflexions... qu'elles sont pas très favorables... Nathalie se recroqueville dans le coin opposé... elle me fait du genou. Très inoffensif à vrai dire tout ce que je proclame... que j'aime pas beaucoup leur cuisine... (et moi la cuisine ça me laisse tiède), que j'aime pas l'huile de tournesol... J'en ai le droit... Que bagne pour bagne ils pourraient mieux... Que c'est un mauvais ordinaire de prison bien mal tenue... enfin des futilités... que les concombres c'est pas digeste... que les cafards plein les crèches.. (je payais la mienne trois cents francs par nuit) ça faisait pas un progrès sensible... Qu'ils avaient tous l'air dans la rue à première vue, médicalement, leurs travailleurs "régénérés"... d'une terrible débâcle de cloches... effroyablement anémiques... chlorotiques... flapis... une vraie retraite de Russie... décavés jusqu'aux ratamoelles... que ça me surprenait pas du tout... avec leur genre de régime... que moi même avec Nathalie, tout en flambant des sommes orgiaques, on arrivait à se nourrir qu'avec des [338] galtouses bien suspectes... à vous couper net le sifflet... des brouets si équivoques... des petits arrière-goûts si sûris... incroyables... Si je parlais tant de boustifaille, dont je me fous énormément, c'est parce que là-bas, n'est-ce pas, ils se proclament matérialistes, "tout pour la gueule". C'est leur gloriole le matérialisme... Alors je faisais des remarques matérialistes... qu'étaient dans la note... des choses que devait comprendre ce beau sénateur bonzoide... Ça l'a pas mis en colère mon impertinence... Il se fendait même les babouines de m'entendre avec mes sarcasmes... persifleux... Il se tamponnait de rigolade dans le fond du bahut... Ça n'avait pas l'air de le froisser. Nathalie n'en menait pas large... Quand j'ai eu fini enfin de faire comme ça le bel esprit... Il est revenu à l'assaut d'une autre manière... Il s'est enquis d'autre façon...

-- Il paraît que Monsieur Céline n'aime beaucoup nos hôpitaux?...

Ça y était! Cette provocation m'avait à l'instant suffi! ... un éclair!... m'avait débrouillé la mémoire... Je m'y retrouvais parfaitement! je lui répondis coup sur coup:

-- Mais si! Monsieur Borodine, quelle erreur navrante!... mais j'en suis "enthousiastic"... de vos hôpitaux! .. voyons!... vous êtes, pour ce qui me concerne, très mal renseigné!... A mon tour, puis-je me permettre?... puisque nous sommes aux confidences... C'est un nouveau nom, n'est-ce pas, Borodine?...

Il se fendait de mieux en mieux...

-- Là bas, à Dartmoor, sur la lande, quand vous fabriquiez des petits sacs... vous vous appeliez?...

-- Et vous, là-bas, Monsieur Céline, à Hercules Street... est-ce bien exact?... quand vous preniez des leçons d'anglais, à la jaune cantine "Au Courage"... sous le grand pont... Suis-je dans l'erreur?... Waterloo... Waterloo over the Bridge!... la gare des morts... Ah! Ah! Ah!... Vous êtes un fils de "Dora"... Top là!... Top! Top! ...

-- Vous en êtes un autre!... il faut l'avouer haut et fièrement!

On s'est serré la louche en force... c'était plus la peine de pré tendre ...

Il avait énormément forci et jauni... je l'avais connu très mince et très pâle...

-- Et cet excellent Yubelblat... hein?... toujours myope?... toujours lecteur en pensée?...

[339] Ah! il évoquait une époque. C'était amusant comme souvenir Yubelblat! ...

-- Il m'a bien servi à Anvers vous savez Monsieur Céline...

-- Yubelblat?...

-- Je suis resté trois mois chez lui.. dans sa cave mon ami... dans sa cave! ... Pas un rat dans sa cave! ... Je vous garantis... Mais que de chats!... mon Dieu!.. Tous les chats d'Anvers!... Quels chats!...

-- Bien vrai?...

-- Bien vrai!...

-- Dans la cave?...

-- Comme Romanoff!...

-- 17?...

-- Quel âge avez-vous donc Céline?... "Doucement chauffeur!" Il commande à présent... "Doucement... faites le tour!... Il faut que je parle encore à mon ami, le "Gentleman"... Toujours "Ferdinand la migraine"?... Ah! l'on ne se retrouve pas tous les jours!... "enthousiastic"!... Encore il partait à se marrer.

-- Yubelblat... non plus d'ailleurs!... Il avait bien promis, ce cher, de passer pourtant une fois... encore une fois... me faire une petite surprise... une petite visite... en véritable camarade... comme cela sans cérémonie... pour son retour de Pékin... Il avait promis... Il y va de moins en moins, n'est ce pas à Pékin?... N'est-ce pas?... Il me semble!...

-- Je ne suis plus très au courant Mr. Borodine...

-- Il est fantasque ce Yubelblat... savez vous?... imprévisible en vérité!... Il a préféré reprendre encore ce sale bateau... Il n'aime plus le "Transsibérien". Ah! Ah! Ah! ... (Il se ramponnait la brioche). Quel voyage... Terrible détour!... La Mer Rouge vraiment!... Un bien disgracieux voyage en vérité...

On s'en esbaudissait tous deux, tellement c'était drôle tout ce détour de Yubelblat...

-- Et vous alors? Monsieur Céline?... Vous n'aimez pas la Russie?... Pas du tout... Mais vous aimez bien au moins, notre grand théâtre?... Vous êtes raffiné comme un Lord, Monsieur Céline... pas seulement pour les hôpitaux... Ah! Ah! Ah!... Vous êtes raffiné comme un duc... Un grand duc!... Monsieur Céline!... On vous voit beaucoup au foyer de la danse... Suis je mieux renseigné?...

Nathalie n'avait rien à dire... Elle regardait loin... très loin... la rue. Elle se faisait menue, toute petite...

[340] -- Vous voulez bien, Monsieur Céline, que je vous pose une question? Une question vraiment personnelle?... Une vraie question d'ami... un peu brutale...

-- Je vous écoute.

-- En cas de guerre de quel côté seriez-vous?... Avec nous? Ou avec l'Allemagne?... Monsieur Céline?...

Le petit youtre de l'Intourist, sur le siège avant, il se démanchait pour mieux entendre...

-- J'attendrais... Je verrais bien... Monsieur Borodine... J'applaudirais comme au tennis... au plus adroit... au plus tenace... au plus corsaire... au plus fort! Je m'intéresserais...

-- Mais les plus forts, c'est nous! cher Monsieur!... Tous les experts vous le diront!...

-- Les experts se trompent parfois... Les Dieux se trompent bien... Nous avons des exemples...

A ces mots nets, le voilà qui change de contenance... la colère le saisit, immédiate... Il sursaute... Il bafouille... Il s'agite... Il ne tient plus sur la banquette... le feu lui monte, d'entendre des bafouillages pareils!... Une vilaine rage de Chinois...

-- Oh! ami!... ami!... qu'il suffoque... Vous dites des choses si imbéciles... -- Chauffeur! chauffeur!... Faites donc le tour un peu par Houqué! ... Vous ne connaissez pas, Monsieur Céline, Houqué?... Houqué! cela ne vous dit rien?... Vous ne savez pas?... Hou! qué? Non?... Jamais on ne vous a parlé de Hou! qué!... Nous allons avec mon ami, vous montrer Houqué!... Passez chauffeur, tout doucement... là...--Ici... devant... regardez Céline... ces maisons si basses... si trapues... voyez-vous bien closes.. C'est le quartier de Pierre le Grand! ici Monsieur Céline! ... je vous le montre... C'est là, qu'il menait s'amuser... s'éduquer un peu les personnes qui causaient un peu de travers... qui ne voulaient pas causer... qui répondaient mal aux questions... Elles faisaient tellement de bruit ces personnes, des bruits si forts!... quand elles s'amusaient avec Pierre, quand elles commençaient à reparler... qu'elles retrouvaient leurs paroles... Un tel vacarme des poumons! Monsieur Céline... de la gorge... Hou! qué!... comme ça!... Hou...! qué!... comme cela! si fort!... qu'on entendait plus que leurs cris! à travers tout le quartier... à travers toute la Néva... jusqu'à Pierre et Paul... C'est encore le nom qu'on lui donne à ce quartier. Houqué!... Regardez bien, Monsieur Céline, toutes ces demeures... si trapues... si profondes... bien closes!... Ah! C'est un vraiment beau


Ce texte comporte les pages 331-340 du pamphlet de Louis-Ferdinand Céline, intitulé Bagatelles pour un massacre. Le "massacre", dans la pensée de l'auteur, est évidemment celui qu'il prévoit, en 1937, comme ce qui arriverait s'il éclatait une deuxième guerre mondiale.

Contrairement à la rumeur, les pamphlets ne sont pas interdit par des lois, des règlements ou des tribunaux. Ils n'ont pas été réédités par des maisons d'édition ayant pignon sur rue parce que l'auteur, revenu en France, voulait pouvoir vendre les livres qu'il écrivait alors pour gagner sa pitance. Cette mesure d'opportunité n'a plus lieu d'être après la disparition de l'auteur, en 1961. Personne n'a la droit de soustraire à la légitime curiosité des générations suivantes ce qui a été le noyau incandescent de la littérature française vers le milieu du vingtième siècle.

Le texte ici reproduit est celui d'une édition probablement pirate. Les détenteurs d'une éditions réellement authentique voudront bien nous signaler les éventuelles différences.

D'autres groupes de 10 pages suivront.

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