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[cr de] W. Ashmoneit, T. Carney, H. Penford, W. Grabowski, ASEMI, Cambodge II, n.15,1985, 1-4 p.471-4 et 491-2.



[p.465]

Walter ASCHMONEIT, Kampuchea, Sozialhistorische Bibliographie zu Kampuchea von der Vorgeschichte bis 1954, Muenster, SZD Verlag, 1981, 184p.


Walter ASCHMONEIT, Reiner WERNING, éditeurs, Kampuchea, Lesebuch zur Geschichte, Gesellschaft, Politik, Muenster, SZD Verlag, 1981, 498p.


Il faut signaler ces deux ouvrages parus en Allemagne ne serait-ce que parce que de tels instruments n'existent pas en français. Le premier ouvrage est une bibliographie (un second volume doit paraître) qui devrait rendre de grands services. Il n'y a pas grand chose en français depuis l'article de Preschez en 1961 et l'annexe de la thèse de Roland Thomas en 1976, difficile à trouver. Ce premier volume comporte les chapitres suivant: bibliographies, le Sud-Est asiatique, le Cambodge ancien, Angkor, le Cambodge 1432-1863, l'Indochine française, le Cambodge 1863-1954. Les titre sont classés par matière et les index figureront dans le deuxième volume.

Le deuxième ouvrage est un recueil de textes compilés par les deux universitaires d'Osnabrueck. Il comporte des reproductions et des traductions de nombreux classiques, répartis ainsi:

1. La société cambodgienne à travers la littérature populaire, avec des textes de Pavie, Bitard, Delaporte et d'autres.
2. La haute culture: Angkor, Bastian, Coedès, Groslier, Chou Ta Kuan, Heine-Geldern et un bref essai d'Aschmoneit sur "les problèmes structuraux de l'histoire sociale du Cambodge".
3. Le Cambodge sous domination coloniale française, Chandler, Reddi, Pannetier, et le texte du traité de 1863 (les conventions de 1884 me paraissent plus intéressantes).
4. Entre les guerres, 1945-70, des textes allemands et une page de Sihanouk. Cette section est très insuffisante. Enfin,
5. La décennie sanglante, 1970-80, de Beer, Heder, Summers, Retbøll, contributions, programmes, etc.

On aurait pu faire un choix différent, plus analytique, plus distancé aussi par rapport au Kampuchea Démocratique. Un choix est par nature discutable. Ces morceaux choisis sont néanmoins utiles pour un large public.


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Timothy CARNEY, Kampuchea, Balance of Survival, Bangkok, DD Books (75/8 Sukhumvit, Bangkok 11), 198I, 96 p.


Pour ceux qui ont affaire aux textes sur le Cambodge, Timothy Carney est l'auteur d'un dossier longtemps unique, Communist Party Power in Kampuchea, Documents and Discussion, (Southeast Asia Program Data Paper 106, Cornell University) paru en 1977, et plein d'aperçus prémonitoires.


Pour ceux qui allèrent sur la frontière pour voir ce qui s'y passait ou pour y travailler, "Tim" était le "Cambodia watcher" de l'Ambassade américaine à Bangkok, un homme jeune, calme, toujours disponible, parlant bien le khmer, le thaï et le français, doué d'humour et de convictions. On le plaisantait parfois depuis que Ieng Sary, en mauvais tartuffe, l'avait appelé "camarade Carney" lors de l'une des mondanités khmères rouges à Phum Thmey auxquelles sont rituellement soumis les visiteurs étrangers. Il avait pour tâche l'analyse de la situation politique khmère, travail moins épineux peut-être que celui, complémentaire, qui consistait à accompagner et à "briefer" les personnalités politiques américaines qui arrivaient par rafales pour tout savoir sur la question en moins de 24 heures.


Au cours de ses déplacements sur la frontière, il prit les photographies en noir et blanc qui font l'objet de ce livre--accompagnées de textes brefs-- vendu à Bangkok au profit des réfugiés. De mai 1979 à décembre 1980, il passe ainsi à travers tous ces camps aujourd'hui disparus de Khao Larn à Mak Mun, mais aussi de Nong Chan à Khao-l-Dang, et même à Phnom Penh, en compagnie de trois sénateurs américains venus proposer en octobre 1979 le fameux landbridge, c'est-à-dire l'acheminement de vivres à l'intérieur [473] du pays par la frontière thaïlandaise. On voit Hun Sen et les bouteilles de Coca-cola sur le tapis vert. On voit aussi, p. 73, Robert Ashe, l'instigateur de cette vaste manoeuvre politico-alimentaire, que les Thaïlandais expulsèrent en 1982, et Mme Carter, style poupée Barbie, en train de visiter Sa Kèo, le bastion des Khmers Rouges. Tout cela mériterait des commentaires que Tim, le diplomate, évite sagement.


Il y a une sobriété, un goût du détail dans cet album de photographies qui évitent la facilité du reportage de presse pour mieux donner à voir les réalités matérielles: ici un pilon, là une charrette démontée pour passer un obstacle. Visages recrus de fatigue, anxiété de l'attente, empilement des sacs de riz, jeux d'une marmaille vite remise sur pied. Ce livre a aussi l'avantage de rappeler que les camps ont été dominés par d'abominables bandits, que l'on voit par exemple dans l'étonnant portrait de In Sakhan et Ung Chan Don, les seigneurs de la guerre du camp 007. La dernière légende, accompagnant des photographies de militaires, reste, je crois, tout à fait d'actualité: "Les soldats en uniforme camouflés sont les Khmers serei, indisciplinés, inexpérimentés, avec un encadrement discutable. En noir ou en vert, se sont les Khmers Rouges, des durs qui ont vu le feu, avec une direction tellement haie du peuple que leurs sources de recrutement se trouvent taries et que leur avenir politique reste très douteux".

Tim est, depuis la fin de 1983, en poste à Pretoria.

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Helen PENFOLD, Remember Cambodia, Overseas Missionary Fellowship, Sevenoaks (Kent, G.B.), 1979, 140 p.


Il faut le lire pour le croire. On aurait pu penser qu'il était impossible, dans le siècle où nous vivons, d'écrire un tel livre. Il s'agit de l'histoire, racontée par une personne qui n'est jamais allée dans le pays, de l'implantation au Cambodge de l'église protestante par des missionnaires, surtout anglo-saxons. On sait l'indifférence profonde que les Khmers ont manifesté au cours des siècles face à toutes les tentatives de conversion. On trouve des missionnaires au Cambodge depuis le XVIIIe siècle et, à l'exception de quelques familles ibéro-khmères, le résultat de leur action a été quasiment nul. Les Khmers christianisés ne se comptaient qu'en centaines jusqu'en 1970. Le livre d'H. Penfold rappelle que les autorités, tant sous le Protectorat que sous Sihanouk, se montraient défavorables à l'activité des missionnaires américains qui arrivèrent à partir de 1923. En 1965, au moment de la rupture avec les Etats-Unis, ils durent quitter le Cambodge, en laissant derrière eux 700 convertis dont plusieurs furent inquiétés par la police.


Le régime Lon Nol semble au contraire avoir ouvert largement les [474] portes à ces éléments un peu particuliers de l'aide américaine. On assiste alors à une véritable explosion sociologique de la conversion, surtout à partir d'avril 1972 et de la "croisade évangéliste" de trois jours, prêchée par Stanley Mooneyham, le patron d'une énorme entreprise religieuse et financière, installée en Californie, appelée World Vision. Le plus étonnant d'ailleurs est que ce moderne trust missionnaire s'est retrouvé sur la frontière khméro-thaïlandaise dès l'été 1975 et de nouveau à Phnom Penh dès la fin de 1979. Il formait en 1981 le plus gros groupe, avec une dizaine de personnes, parmi les volag (volontary agencies) occidentales.


On peut mesurer les effets destructurateurs de la guerre en constatant que de quelques centaines le nombre de convertis par les missionnaires anglo-saxonss est passé, en 1975, à près de 10.000 dans la zone Lon Nol (p.90) et que le rythme de ces conversions s'accélérait au fur et à mesure qu'approchait l'échéance. Le dimanche 30 mars 1975, note un missionnaire américain, 185 personnes se sont converties et 135 autres se sont fait baptiser au cours de la semaine qui a suivi.


L'évidence de cette relation entre le rythme des conversions et l'accroissement de la pression militaire ne semble pas avoir troublé la conscience des évangélisateurs. L'exploitation de la misère morale et matérielle causée par une guerre sur laquelle l'ouvrage jette un voile pudique apparaît simplement comme l'effet de la volonté de Dieu. Ce qui est très surprenant, dans ce livre, ce n'est pas l'histoire, surtout anecdotique, de l'action des missionnaires, c'est le ton et le point de vue. On y lit que le pays est plongé par le bouddhisme "dans une obscurité qui semblait impénétrable" (p.17). Les plus plates niaiseries de la littérature édifiante des siècles passés sont reprises au nom d'un zèle borné qui ne vise qu'à gagner une clientèle. On a des miracles à toutes les pages, des rêves prémonitoires, le Saint Esprit qui parle à tout un tas de gens, et même deux résurrections (p. 30 et 95) ainsi qu'une possession démoniaque (p.65): on remarque d'ailleurs à cette occasion que le Démon parle anglais dans le corps d'une femme qui ne le parle pas! Distribuant de la nourriture, des cours d'anglais et des millions d'imprimés, les missionnaires manifestent un implacable cynisme à l'égard des non-convertis, comme les Cham musulmans qui les ont tenus à distance, et qui a même valu à World Vision un procès aux Etats-Unis pour discrimination à l'égard des réfugiés non-chrétiens (p.113).


On retrouve dans cette atmosphère le pire obscurantisme des missionnaires de la grande époque de l'expansion coloniale et le sectarisme des "cultes" américains où se mêlent affaires financières, manipulation d'esprits désemparés, intrigues politiques et extase religieuse. Le cas du général dictateur Rios Montt au Guatemala, téléguidé par une secte californienne, ou celui du révérend Jim Jones en Guyana sont présents à toutes les mémoires. On pouvait voir encore en 1982, à Khao-I-Dang, au service protestant du dimanche, comment y était entretenu un espoir d'émigration, un contrôle quasi-policier de la pensée et un enfermement hargneux qui désigne les réfugiés comme des "cibles faciles à atteindre", ainsi autrefois en Chine et en Corée. L'ouvrage d'Helen Penfold, avec ses anecdotes édifiantes et stupides, son inconscience et son ignorance du pays, témoigne avec force que dans l'exploitation du malheur et de la peur, on peut toujours aller plus loin.

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[p.491-2]

Volker GRABOWSKI, Die Kambodschanische Tragoedie. Untersuchung zur Bevolkerungsentwicklung Kampucheas (La Tragédie cambodgienne. Recherche sur l'évolution démographique du Cambodge), Muenster, SZD Verlag (Maikottenweg 111, D-4400 Muenster), 1982, 109p., cartes, bibl.


L'auteur est présenté par l'éditeur comme un spécialiste de l'histoire asiatique. Il a compilé effectivement l'ensemble des sources sur la démographie cambodgienne qu'il replace dans une séquence chronologique. La part la plus importante est donnée aux événements qui se sont succédés depuis 1970. Pour chaque phase, il fournit un aperçu de la situation politique et ajoute quelques considérations sur la situation économique, alimentaire ou sanitaire. Ces présentations sont évidemment trop succinctes pour ne pas prêter à discussion. On pourrait surtout reprocher à l'auteur d'utiliser ses sources sans esprit critique. Il les met toutes sur le même pied, de sorte, par exemple, qu'il prend une analyse des coopératives de la période Pol Pot, faite par Laura Summers, comme si elle décrivait une réalité alors qu'il ne peut s'agir que d'un modèle et même, d'hypothèses sur un modèle. Il ne soulève jamais la question des motivations politiques des textes qu'il cite, ni celle des conditions dans lesquelles sont rassemblées les informations qu'ils véhiculent. Ainsi, les chiffres donnés dans les rapports de la FAO en 1980 et 1981 sont certes intéressants, mais les experts de la FAO avec qui j'en ai parlé à l'époque ne leur attribuaient qu'une valeur indicative assez vague puisqu'en réalité ces chiffres venaient d'une administration dont il y avait des raisons de douter qu'elle ait eu les moyens de les établir et de les vérifier. A ce moment-là, Phnom Penh produisait deux séries de chiffres sur le niveau de la population, l'une très basse, politique, pour "démontrer" le "génocide de 3 millions de Khmers", l'autre beaucoup plus haute, pour servir de base à la distribution de l'aide alimentaire internationale.

Ma conviction est que personne ne sait rien de sûr au sujet du nombre réel d'habitants au Cambodge. Ceci d'ailleurs n'a rien d'extraordinaire et l'on connaît maints pays où l'administration n'est pas en mesure, pour mille raisons, de rassembler des statistiques fiables. Les estimations qui en tiennent lieu sont toujours le produit d'arrière-pensées politiques.

Dans le cas du Cambodge, la question démographique est devenue un enjeu politique puisqu'elle sert de support aux jugements et aux opinions partisanes. Il faut donc dire ici que Grabowski fait montre d'une préférence, modérée mais très nette, pour la formule Pol Pot. C'est ce qui explique les estimations étonnamment basses qu'il donne des conséquences démographiques de la période 1975-78: 500.000 morts dues à la malnutrition, 30 à 50.000 aux purges et 30.000 à la guerre frontalière avec le Viêt-Nam. Dans la même foulée, il attribue 500.000 morts aux conséquences de l'intervention viêtnamienne en 1979, ce qui me semble fort exagéré. D'une manière générale, l'établissement des chiffres n'est pas justifié par des raisonnements solides ou des sources probantes. On ne voit pas, pour prendre le plus petit des exemples, sur quoi il se base pour chiffrer, ce que personne n'a fait, les pertes khmères dues aux combats de la frontière en 1977-78.

La moins mauvaise des méthodes consisterait à effectuer un sondage tant dans le pays que parmi les réfugiés, en tenant compte des très importantes variations de la situation locale. Lorsqu'il faisait des interviews sur la frontière en 1979-80, Steve Heder avait rassemblé des données qui fournissaient les conclusions suivantes: les pertes en vies humaines de la période 1975-78 se situaient entre le double et le triple de celles de la période 1970-75. Ceci donnerait entre 1,2 et 1,5 millions de disparus à mettre au compte du régime Pol Pot. C'est le chiffre que j'accepte en attendant une étude plus approfondie, et donc plus sérieuse que celle qui nous est fournie ici.

Grabowski n'a pas tort de dire, en conclusion, que "si l'on compare la population actuelle aux 9 ou 10 millions que le pays aurait compris en 1982 si les conditions avaient été "normales ", le poids de la catastrophe démographique au Cambodge est évident. C'est une catastrophe qui n'a pas d'équivalent dans le monde depuis 1945" (p.103). Mais en même temps, il faut peut-être rappeler que les chiffres les plus pessimistes ne ramènent le pays qu'à la situation de 1962, que le Cambodge au début du siècle était deux ou trois fois moins peuplé qu'aujourd'hui, que la courbe démographique a fait un bond en 1980 et que l'avenir démographique de la population khmère est à l'évidence assuré. C'est son avenir politique qui est en question.

 


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