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[191 -- Revue d'histoire révisionniste, n.1, mai-juillet 1990, p. 150-4.]

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NOTE DE LECTURE

VAE VICTIS

Serge Thion

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James BACQUE, Other losses. An Investigation into the Mass Deaths of German Prisoners at the Hands of the French and Americains After World War II [Autres pertes. Enquête sur les morts en masse de prisonniers allemands aux mains des Français et des Américains après la seconde guerre mondiale], Toronto, Stoddard, 1989, xxi-248 p.

 

Lorsque prend fin la guerre en Europe, le 8 mai 1945, l'histoire de l'horreur de ces temps-là ne s'arrête pas. Dans les jours qui précèdent l'effondrement du Reich, le général commandant en chef des forces alliées du théâtre européen prend une décision discrète, et même quasiment secrète. Eisenhower en effet décide que les prisonniers de guerre allemands ne seront plus des prisonniers de guerre, et comme tels couverts par les Conventions de Genève signées en 1929 par les Etats-Unis, mais du "Personnel ennemi désarmé" (Disarmed Enemy Forces, ou DEF), qui, lui, n'ayant aucun statut légal, n'est pas couvert par les Conventions de Genève, qui font obligation à la Puissance qui détient les prisonniers de les traiter convenablement et de les nourrir comme elle nourrit ses propres hommes de troupe, de leur permettre de recevoir du courrier et des visites du Comité International de la Croix-Rouge chargé de faire des rapports secrets à la puissance qui détient les prisonniers comme à celle, dite puissance protectrice, dont ils relèvent. Pour plus de sûreté, les Américains décident d'ailleurs à ce moment-là, le 9 mai 1945, au lendemain de la reddition allemande, de ne plus reconnaître la Suisse comme représentante de cette puissance protectrice, en lieu et place de l'Allemagne, en vertu du raisonnement suivant: il n'y a plus d'Etat allemand, c'est le gouvernement militaire allié qui prend sa place. Par rapport aux Conventions de Genève, les Alliés sont donc juge et partie, et parfaitement libres d'appliquer la politique de leur choix.

On aurait tort de penser qu'il s'agit là d'arguties juridiques. Le sort des prisonniers soviétiques pendant la guerre en témoignerait à lui seul. L'URSS n'étant pas signataire des Conventions de Genève, les Allemands étaient libres de traiter les prisonniers soviétiques beaucoup plus durement qu'ils ne le firent avec les prisonniers occidentaux. Ces derniers avaient droit au courrier et, surtout -- ce qui a sauvé d'innombrables vies -- aux colis envoyés par les familles ou les Croix-Rouges. On sait aussi que les prisonniers soviétiques survivants furent massivement accusés de trahison et déportés en Sibérie après la guerre, en compagnie d'un bon million de prisonniers allemands, eux aussi désormais dépourvus de protection.

Au cours des six premiers mois de 1945, les Alliés firent ainsi de très nombreux prisonniers, dont plus de 5 millions tombèrent aux mains des seuls Américains. Une partie fut libérée assez vite mais plusieurs millions restèrent captifs, soit comme "personnel ennemi désarmé", soit comme "prisonnier de guerre". Le 4août 1945, ces derniers furent subrepticement classifiés comme "personnel ennemi désarmé", ce qui permit, sur instruction directe d'Eisenhower, de réduire les rations alimentaires. La ration du soldat américain était de 4.000 calories mais celle des prisonniers de guerre tournait autour de 1500, ce qui assure juste la survie (c'est celle, par exemple, des camps de concentration viêtnamiens). La ration du "personnel ennemi désarmé" descendait à 1.000 ou 900 calories. On rassemblait ces prisonniers dans des camps improvisés, habituellement des champs que l'on entourait de barbelés. Il n'y avait pas d'abri. Des directives disent clairement qu'il ne fallait pas leur donner de baraquements. On refusa de fournir des tentes, dont l'armée américaine avait des surplus énormes. Pas d'eau ou un peu, rationnée, très peu de nourriture, pas de soins médicaux, aucuns travaux d'hygiène. Les prisonniers, qui comprenaient non seulement des soldats, souvent très jeunes, mais aussi des civils, des femmes et des enfants, ont commencé à mourir, surtout de maladies vite provoquées par la sous-alimentation. Ce fut ce que James Bacque appelle les "camps de la mort lente". Ce n'étaient plus les Allemands ou les Japonais, ou le Goulag, c'étaient les Américains, appliquant la même méthode de base: la faim. Ce n'est pas sans raison que le général Patton jugeait que le général Eisenhower appliquait aux Allemands "les méthodes de la Gestapo" (p.143).

C'est un peu par hasard que l'auteur, le Canadien James Bacque, est tombé sur ce problème. Quand il a commencé à fouiller la question, il s'est aperçu qu'un épais voile de propagande mensongère avait recouvert depuis le début une sinistre réalité: les Américains et les Français, qui avaient réclamé aux Américains la livraison de centaines de milliers de prisonniers de guerre à titre de réparation, avaient si mal traité ces prisonniers que ceux-ci avaient péri en masse. Sept à huit cent mille morts peut-être, ou même davantage. Il semble impossible de parvenir à des chiffres sûrs. Une bonne partie des documents ont disparu ou sont introuvables. L'auteur a fouillé les archives historiques aux Etats-Unis; il a sondé les archives militaires françaises au fort de Vincennes et les archives fédérales à Coblence. Avec des documents très disparates, il conduit des calculs très compliqués sur la valeur desquels je me sens incapable de formuler une opinion. Mais il n'est nul besoin de s'attarder sur les chiffres pour voir, aussi bien d'après les décisions politiques du gouvernement militaire américain que d'après les témoignages des internés allemands ou des rapports d'un délégué du CICR [Comité International de la Croix-Rouge], ou encore de certains Français qui vivaient à proximité des camps, qu'il s'est passé là une catastrophe humaine, parfaitement orchestrée par les responsables alliés, De Gaulle y compris, et généralement acceptée par ceux, dans l'opinion et dans l'armée, qui savaient et qui auraient pu protester. Mais à l'époque, qui aurait parlé pour des prisonniers allemands? On peut même dire que ces prisonniers étaient innocents puisque tous ceux qui pouvaient être soupçonnés de crimes par les Alliés avaient été au préalable soustraits du nombre de ces prisonniers et mis dans les camps de concentration qui venaient de se vider. L'ouvrage de Bacque choisit de ne pas parler de ces détenus soupçonnés de nazisme, ni des prisonniers faits par l'URSS, ni du sort des réfugiés de l'Est. Les victimes, là, se chiffrèrent en millions. Après la fin des hostilités, rappelons-le. La civilisation avait vaincu la barbarie et le barbare gisant au sol ne méritait à l'évidence que des coups de pied. Nous devons en être fiers.

Le rôle des Français est particulièrement peu reluisant. Ils auraient eu environ 1600 camps répartis entre la France et la zone d'occupation française en Allemagne. Les forces françaises auraient fait 280.000 prisonniers. Les Français auraient demandé 1.700.000 prisonniers à leurs alliés américains, mais le nombre total n'aurait pas dépassé les 800.000. Tous ces chiffres sont imprécis parce que les documents sont peu explicites et que la brochure écrite par le général Buisson, chef du service chargé des prisonniers de l'Axe, Historique du service des prisonniers de guerre de l'Axe (1943-1948), publié en circulation restreinte par le ministère de la Défense nationale en 1948, montre surtout que le général était un "statisticien agile", d'après ce qu'en dit James Bacque. D'après les calculs de l'auteur, le nombre de morts dans ces camps se situe entre 167.000 et 314.000. Il remarque que la question a été soulevée dans la presse française, timidement dans Le Figaro des 22 et 29 septembre 1945, par Serge Bromberger, et plus nettement par Jacques Fauvet dans Le Monde du 30 sept.-1er octobre 1945(*). Mais les autorités militaires ont noyé le poisson et la presse a abandonné la question. Les journalistes sont rarement curieux, quoi qu'on en pense. L'auteur consacre d'ailleurs un chapitre entier ("Mythes, mensonges et histoire") à la façon dont cette question a été occultée et recouverte, surtout à usage de l'opinion allemande, d'un mythe fort opportun, au terme duquel tous les prisonniers manquants devaient forcément se trouver aux mains des Soviétiques ou morts en Sibérie. Cette croyance conserve tout son crédit aujourd'hui encore en Allemagne.

Ce livre est un ouvrage pionnier. Il est probable que toutes les archives n'ont pas été mises à contribution. Les archives militaires américaines sont dispersées sur au moins une soixantaine de bases à travers tout le pays. Les documents "déclassifiés" [ouverts au public] le sont au hasard du bon vouloir des autorités, on l'a vu en d'autres circonstances. En France même, il y aurait sûrement encore beaucoup de recherches à faire. Enfin, il faut rappeler que le Comité International de la Croix-Rouge à Genève, qui a fait des inspections à l'époque, au moins dans certains camps, a refusé de communiquer ses rapports à M.Bacque.

"Other Losses", "Autres pertes", est la catégorie statistique mystérieuse où disparurent, non seulement sur le papier, mais aussi dans la réalité, des centaines de milliers d'hommes dont le seul crime était d'avoir perdu la guerre, victimes de la basse vengeance des vainqueurs. Pour ceux que cette notion intéresse, cela répond certainement à la définition des crimes contre l'humanité. Nous attendrons avec curiosité de voir qui, parmi les défenseurs patentés des victimes de crimes contre l'humanité, se dressera pour réclamer, quarante-cinq ans après, justice et réparation.

 

Revue d'histoire révisionniste, n.1, mai-juillet 1990, p. 150-4.

Cette note de lecture est suivie, dans la revue, de différents documents qui la prolongent.


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